Prendre le volant pour faire du jus.

Ou le Flywheel, la roue volante en anglais.

7 minute de lecture
Par Stéphane
Prendre le volant pour faire du jus.

N'ayons pas peur de dire : sans électricité, pas d'informatique. Et comme corollaire : quand l'électricité disparaît tout d'un coup, l'informatique n'aime pas ça, et l'utilisateur encore moins. Voici pourquoi :

  1. Les travaux en cours sont stockés dans la mémoire de l'ordinateur, non alimenté, toutes les données s'effacent quasi instantanément.
  2. Les disques durs sont composés d'une tête de lecture qui plane au dessus d'un plateau recouvert d'un matériau magnétique, comme ceux d'une K7 audio ou VHS. Si le plateau s’arrête de tourner, la tête tombe dessus et le raye : toutes les données inscrites à cet endroit sont perdus. Dans la pratique c'est tout le disque qui est perdu.
  3. La personne devant l'ordinateur n'est pas content du tout d'avoir perdu tout son travail.
  4. La personne devant son ordinateur qui marche parce que lui à de l’électricité mais qui ne  peut pas se connecter sur un site qui n'en a pas est tout aussi mécontent.

Il y a d'autres types d'utilisateurs qui ont besoin d’électricité, je ne vous donne qu'un seul exemple : les chirurgiens et leur équipe (anesthésistes, infirmier(e)s, etc.). Ils opèrent des gens (ou des animaux) dans des salles d'opérations le plus souvent sans fenêtres, et qui utilisent même des éclairages spécifiques. Enfin, les appareils, tels que ceux qui surveillent l'état du patient (et qui font ping!) comme ceux qui l'assistent (par exemple pour respirer) sont tous dépendant d'une source d'électricité.

Et si vous vous êtes furieux quand vous avez perdu une heure de travail, imaginez un chirurgien(ne) plongé(e) dans le noir scalpel à la main !

Salle d'opération équipée d'éclairages scialytiques et divers appareils électroniques.

Pour pallier à ces petits soucis, la première solution est de stocker l'électricité pour la redonner si nécessaire. Pour la stocker on utilise des batteries rechargeables. On en met beaucoup les unes derrière les autres (car elles sont souvent de 12 ou 24 Volts) et on les relie à ce qu'on appelle un onduleur. Tant que le courant est normalement fourni, il traverse l'onduleur et charge les batteries si besoin est. Si l'alimentation est coupée, les batteries sont mis à contribution pour fournir l'équivalent.

Intégration d'un onduleur (C) associé à une batterie destiné à alimenter une maison (D).

Les batteries se déchargent vite, et se rechargent lentement, donc un onduleur ne peut pas durer très longtemps, on peut par exemple le calibrer pour qu'il puisse fournir tout le courant nécessaire à la partie critique d'un hôpital pendant 10 minutes (ou plus, ou moins). Les batteries s'usent avec le temps, tout possesseur de voiture ou de smartphone l'a remarqué : au bout de 3 à 5 ans, il faut les changer. Elles fonctionnent très mal s'il fait chaud, ou s'il fait froid, et elles chauffent quand on les sollicitent. Elles sont très lourdes, rendant la manutention longue et pénible. Par contre elles ne sont pas chères et peuvent fournir un courant très important pendant un temps court.

Batteries empilées dans une pièce spéciale.

Oui, mais après ces 10 minutes ?

Après, le plus simple est d'utiliser des groupes électrogènes : c'est un moteur à essence ou diesel qui fait tourner un générateur. Le courant fourni est envoyé à l'onduleur, qui le distribue vers les prises, et s'il en reste un peu plus, il recharge ses batteries par exemple.

Nous avons omis un point important : il faut que la source de remplacement prenne le relai très vite ! Si l'onduleur met une seconde pour se substituer au courant manquant, tous les ordinateurs s’arrêteront quand même, parce que une seconde c'est long. Le temps de commutation comme il s'appelle est de l'ordre de 10 millisecondes (1 centième de seconde), et là, ça va : les ordinateurs arriveront à tenir grâce à leur alimentation sur dimensionnée.

Mais pour démarrer un groupe électrogène, là, ça prend du temps, car il s'agit de démarrer un moteur, et parfois même de très gros moteurs, ou plusieurs moteurs. Et une fois démarrés, il faut qu'ils se mettent à tourner à la bonne vitesse, en accélérant, c'est long ça aussi. Et enfin, il faut que le générateur soit lui aussi près à sortir le jus. Tout cela est très long, de 5 à 10 secondes.

Comment peut on diminuer ce temps ? Voire se passer complètement des batteries de l'onduleur ? Car si on trouve assez d'énergie le temps que les générateurs démarrent, après on a de l’électricité pendant très longtemps, le temps que les reservoirs d'essence se vide, si on ne les remplit pas.

C'est là que peut intervenir un mécanisme très ancien, mais encore méconnu et pas assez utilisé : le volant d'inertie.

Volants d'inertie Beacon Power

Qu'est ce qu'un volant d'inertie ? C'est très simple : c'est un cylindre plus ou moins gros qui tourne très vite, 8 000 t/min ou plus. Il est relié à un moteur pour le démarrer et le faire conserver sa vitesse. Mais il est aussi relié à un générateur, à la demande. Dès que la panne d’électricité est détectée, on passe les volants d'inertie en mode générateur : le cylindre en rotation va être lentement freiné, et au fur et à mesure qu'il perd son énergie cinétique en ralentissant il fourni de l’électricité. En dessous d'une certaine valeur il ne génère plus rien.

Les volants d'inertie sont donc capable de produire de l’électricité comme le feraient des batteries, pendant un temps assez court, par exemple 40 secondes. Mais ça suffit pour que les générateurs démarrent, ce qui est l'essentiel.

Les volants d'inertie fournissent le courant le temps que les générateurs de secours démarrent.

Notons aussi qu'un volant d'inertie se "recharge" très vite, en quelques minutes il peut se remettre à tourner à sa vitesse nominale, contrairement à une batterie pour laquelle il faut des heures de rechargement. Donc si vous il y a des coupures toutes les 15 minutes, cela tue les batteries rapidement, alors que les volants d'inertie n'ont aucun problème. On peut donc les utiliser pour lisser une tension d'approvisionnement qui ne serait pas très stable.

Bien sur il faut les construire avec beaucoup de précision, car le cylindre tourne vite et tout le temps : il ne faut pas qu'il frotte. On utilise des paliers constitué d'aimants, faisant léviter le cylindre et limitant les frottements. Le tout est dans une enceinte close et maintenue sous vide.

Un volant d'inertie s'use très peu, sa durée de vie peut durer 20 ans et il peut subir plus de 500 000 cycles chargement/déchargement, contrairement aux batteries il ne génère quasiment aucun déchet et ne contient pas de substances dangereuses (comme le plomb par exemple). Le volant d’énergie est une énergie propre ("verte").


Le super ordinateur Cray Titan.

Prenons un exemple : le système d'alimentation du super ordinateur Titan conçu et fabriqué par Cray. Pour ceux qui aiment les chiffres : il est composé de 299 008 processeurs 16 cœurs 2,2GHz AMD Opteron™ 6274 (Interlagos) et totalise 598 To de mémoire. On doit rajouter 18 688 cartes graphiques NVIDIA Kepler™ (GPU).

Il occupe 400m2 et consomme 1,2 millions de Watt (MW) à son maximum. En cas de coupure d'alimentation, des volants d'inertie prenne le relai pour continuer à alimenter le réseau et le stockage. Ces volants d'inertie on un autonomie de 16 secondes. Après 2 secondes les générateurs démarrent, et il leur faut 7 secondes pour atteindre leur puissance nominal, à ce moment là ils prennent le relai, jusqu'à ce que l'alimentation électrique soit restaurée. Le choix de garder le réseau et le stockage alimenté permet un redémarrage rapide de la machine entière.


Les volants d'inertie sont aussi utilisé dans les voitures de sport : le volant est accéléré lors des freinages, accumulant ainsi de l’énergie qui peut être libérée plus tard, donnant un coup de fouet au moteur.

Volant d'inertie (de marque GKN) pour voiture

Cette technologie, associées aux nouvelles sources d’énergie, comme les éoliennes, sera probablement de plus en plus utilisée car elle n'est pas très coûteuse, fiable, et surtout, verte, ce qui de nos jours est un argument de poids.


Le physicien Richard “Dick” Post du Lawrence Livermore Laboratory (USA) est considéré comme le père des volant d'inertie modernes. Il à déposé 34 brevets, dont 9 après ses 90 ans. Il est décédé en 2015 à l'âge de 96 ans.

Richard Post, au labo à 94 ans

Crédit photo
  • https://www.greencarcongress.com/2015/06/20150616-gkn.html
  • Lawrence Livermore Laboratory
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