Ressuscité grâce à l’hospitalité

Viens donc chez moi, l’étranger.

11 minute de lecture
Par Stéphane
Ressuscité grâce à l’hospitalité

Début 2011 je n’étais pas au mieux de ma forme, et j’avais mes raisons : ma compagne pendant 10 ans venait d’être emportée par un cancer. Seul chez moi, de retour du Texas où j’avais pu la voir une dernière fois avant que le vent ne l’emporte, ma mère à l’hôpital pour une cause inconnue, le climat était lourd.

Un toubib du CMP, que son âge canonique m’avait fait surnommer pépé, me tenait à bout de bras depuis plus d’un an déjà. Une pilule par jour était censé m’éviter la corde au prix d’effets de bord inavouables.

Une nuit de navigation houleuse sur les réseaux interlopes à bord de mon fidèle Chrome j’échouais sur un site appelé Couchsurfing point org. Le concept me paraissait simple :

  • S’inscrire
  • Décrire son canapé
  • Choisir son hôte

TL;DR : Couchsurfing met en contact des hôtes, ceux qui ont un canapé (couch) et des surfeurs, des gens qui veulent dormir dedans, une nuit, ou plusieurs.

Il n’y a aucune contrepartie financière, si vous hébergez, ça vous coûtera un peu (en eau par exemple). C’est de hébergement solidaire, volontaire et désintéressé pécuniairement, uniquement motivé par l’échange interculturel.

En premier lieu j’entrepris de faire une description super précise de ce que j’offrais, je détaillais l’environnement idyllique de l’appartement, superbement situé n’est il pas, à coté de toutes les facilités et offrant une vue imprenable. Ce n’était pas mentir, mais comme le couch se limitait à un matelas Ikea à même le sol dans mon salon, il valait mieux assurer par ailleurs. Mais attention ! Je ne mentais sur rien, sauf par omission, le mot HLM n’était pas cité, tout le reste WYSISWYG.

J’ai très rapidement reçu des offres. Je choisis celle qui me paraissait la plus pertinente : une guitariste Lyonnaise qui venait passer quelques jours à Paris (du 15 au 17 avril 2011). Son profil indiquait qu’elle avait de bonnes références et qu’elle surfait depuis pas mal de temps.

Je l’accueilli du mieux possible, et surtout je lui posais toutes les questions possibles et inimaginables sur comment ça se passait chez les autres hôtes.

Ma seconde surfeuse, c’est Connie. Une étudiante en cinéma Chilienne — mais un peu Espagnole aussi — qui venait passer des examens pour rentrer à l’université à Paris. Elle resta du 24 au 30 avril.

Ensuite, Nneka, des USA, Kim, une étudiante allemande, Jacqueline, Polonaise parlant le Français, fan de Pink Floyd, Heather, une photographe américaine, Ire, un voyageur Autrichien qui passe 6 mois par an en Asie du sud-est, Siobhan, une autre américaine.

Fini le mois de mai.

En juin, Tim, un clown Australien, Connie revient une semaine, et puis Inca, de Finlande, qui reste en même temps que Connie, et puis Jo-Tzu, une étudiante Taiwainaise et Alex, un compatriote Grec.

Etc.

J’ai la liste. Elles sont nombreuses, ils le sont moins, certes.

Olya, chimiste Ukrainienne, portant un de mes tshirt.

Je suis plus ou moins devenu addict. Une semaine sans surfeur était une semaine de solitude, presque d’ennui.

Mais je dois rendre grace à tout ces gens qui m’ont permis de me réaproprier la ville. Toute les semaines je faisais des longs tours dans Paris, avec ceux qui m’acceptait comme guide. Tour Eiffel, Champs Élysées, Notre Dame, le quartier latin, etc. Surtout la rive gauche. Au début c’était les larmes aux yeux. Oui. Trop souvent au coin d’une rue me revenait en mémoire des souvenirs de ma chère Kathleen. Mai je me forçais, ce n’étais pas une raison pour gâcher la visite de mes touriste, et il fallait bien que je me remette à circuler dans ma ville.

J’avais consciemment ou pas, décidé de ne pas changer ma façon de vivre, malgré les visiteurs. Cela impliquait ce que l’un d’entre eux avait baptisé instant trust.

En tant qu’hôte on est du bon coté du fusil : on est chez soi, on ne prend pas de risque, dans le sens où on ne risque pas de devoir passer la nuit dehors si on ne trouve pas son canapé, etc. Le surfeur, lui, doit faire confiance à son hôte, il y est plus ou moins contraint. Quand la porte s’ouvre on se découvre pendant quelques secondes, et à partir de là, ma mission était de mettre l’autre le plus à l’aise possible. Pour ça, je lui souhaitais la bienvenue, le faisait rentrer, lui indiquait les chiottes (ils sont dans l’entrée !), lui montrait son couch (le matelas par terre), et puis commençais à discuter avec.

J’avais remarqué que si l’on tchatche pendant 10–30 minutes, cela décontractait tout le monde. Ça laisse le temps au gars de se poser, de souffler un peu, et d’observer là où il vient de mettre les pieds tranquillement.

Ensuite vient l’exposé des règles de la maison, comme me l’avait expliqué ma première surfeuse : chaque hôte doit bien poser ses règles, sinon c’est la chienlit, ni plus, ni moins.

Vous me voyez, moi, en train de dicter des règles genre “la douche ne doit pas durer plus de 5 minutes. Si tu arrives après 22 heures, il faut prévenir. Tu peux te servir du frigo, mais pas voler mes yaourts.” etc. ? Il paraît que ça se fait.

Donc, voila mes règles :

Tu fais comme chez toi. Voila les clefs. Si tu as besoin de quelque chose, si tu as une question, n’hésite pas. Voila la cuisine, voila la salle de bain, voila comment fonctionne la douche, si tu as besoin d’une serviette elles sont là, si tu veux laver ton linge, préviens moi on fait une lessive. Si tu veux qu’on sort ensemble visiter Paris demain, pas de problème.

Et basta.

C’est ce que l’ami Rafaël avait baptisé l’instant-trust. Bon en fait il était pas aussi instant et trust que ça, comme expliqué ci-dessous.

Je rappelle que les temps étaient quand même durs. Mais certains visiteurs ont passé du temps avec moi à supporter mes pleurnicheries tandis qu’ils m’aidaient à ranger les affaires de Kathleen dans le garage par exemple. Pour ça il faut quand même avoir un peu de temps, un peu d’empathie. Je ne cachais rien de ma situation.

Connie écrase sur le couch dans le joyeux bordel qu'elle a organisé.

J’ai hébergé assez longtemps et assez intensivement. Je crois que des gens intéressants, oui, et pour cause : j’étais addict, comme d’autres hôtes, mais je faisais extraordinairement attention à qui venait chez moi.

Les références de Floriana, reçue et déposée.

Alors pour l’instant trust, mouais, presque. Sauf pour les quelques cas d’urgence : c’est à dire d’ouvrir ma porte à des gens en galère (vol ou train raté, hôte précédent qui n’est pas joignable, obligation de quitter son hôtel, etc.), obligés de faire une demande de dernière minute non prévue.

Tous les autres avaient un profil abondamment documenté sur le site, et des bonnes références de la part des hôtes ou surfeurs précédents. Mais pas seulement, ils avaient aussi des activités intéressantes où venaient d’une culture qui m’était totalement inconnue. J’ai hébergé des clowns, une archéologue, un Discordien Allemand, un Russe de Chypre, un photographe de mode Polonais, un danseur militant écolo Britannique, une cinéaste Albanaise et sa maman, un fonctionnaire du conseil constitutionnel Tchèque, et des tas d’autres profils atypiques.

Connie est restée des mois finalement, elle devenu un peu comme ma petite sœur, quand elle a fini par se trouver un appartement, après 2 mois, elle était à 2 stations de son canapé préféré. Elle l’a d’ailleurs re-squatté à chaque fois qu’elle me demandait de relire ses devoirs pour la fac. Elle est aujourd’hui à Buenos Aires.

J’hébergeais de jeunes gens, fan de réseaux sociaux, en tout cas plus averti que moi. À leur demande je me suis mis sur Facebook afin qu’ils puissent me friender. Je suis encore en contact avec certains d’entres eux. Ils savent que s’ils reviennent à Paris, ils auront toujours un point de chute. Je peux citer Miguel, un jeune cinéaste Mexicain venu en France invité au festival de Cannes. Il avait acheté un costume neuf, emprunté des sous à sa grand mère. Quand quelques années plus tard je me suis retrouvé à mon tour à Mexico, il m’a invité à un concert (il a un groupe de rock avec son frérot), avec ses potes. 6 mois plus tard on s’est rendu compte via Facebook que nous étions à nouveau dans la même ville, cette fois ci dans la province du Yucatán, toujours au Mexique. Re bière, re musique, re bonne soirée. De retour à Mexico, il a gentiment fait le chauffeur jusqu’à l’aéroport.

Miguel au chant, Mexico.

Paris est une ville extrêmement sollicitée, vous recevez plusieurs demande par jour, trouver des surfeurs n’est pas un problème. Il faut éviter ceux qui cherchent juste à économiser le prix de l’hôtel et qui se moque de qui vous êtes. Ce n’est pas le but, le but c’est de partager la culture de son pays et d’apprendre de la culture de votre convive. C’est un échange basé sur la curiosité partagée à rencontrer les autres.

Pris sur le fait par Jo-Tzu, Alex au premier plan. Jardin du Luxembourg.

Mais y a t’il des problèmes avec ces réseaux d’hospitalité ? N’est-ce pas risqué ? Ne risque t on pas hébergeur un voleur, ou que l’hôte abuse de son visiteur ?

Certains le pensent, et sans surprise, d’après ce que j’ai pu constater, se sont des femmes d’origine étasunienne. Il est évident qu’il est facile d’abuser de la situation, à cause du rapport de force dissymétrique, mais les cas d’abus graves de ce type, je parle là tout simplement de tentatives de viols, sont extrêmement rares. Sont rare aussi les cambriolage de l’hôte. Ce qu’il l’est beaucoup moins se sont les différences interculturelles, et les incident qui peuvent en découler. Je crois les américains très, voire trop sensibles sur le sujet.

Quand une Française débarque, je peux lui faire la bise, ce qui n’est pas, nous le savons tous, un truc facile quand il s’agit de supposer leur nombre ET le coté par lequel commencer. Chocolatine versus pain au chocolat, sac versus poche, tout ça tout ca.

Quand vous recevez une Chinoise ou une Texane, c’est moins évident. Si vous ne voulez pas l’agresser, mieux vaut soit lui tendre la main, soit rien du tout. Mais la bise, niet. Surtout si c’est sa première venue en Europe. Si c’est un garçon, et vous lui faite la bise vous risquez gros. Si c’est une Latina, il est possible qu’elle vous embrasse, à la manière de chez elle.

Il y a beaucoup de cas de ce type, qui sont vécu comme une agression, à juste titre. Il faut donc savoir garder ses distances, le temps de s’ajuster.

Oui, mais on est pas de bois.

En effet, une question taraude les esprits sur les forums consacré à l’hospitalité : couchsurfing est il un site de rencontre ?

C’est un site américain. Et nos amies de là bas le contestent haut et fort : non, le couchsurfing ne doit pas devenir un site de rencontre. Jamais. C’est horrible, c’est sale, on est pas là pour ça, on est là pour rencontrer une autre culture, loger chez l’habitant, pas pour avoir une relation avec lui. Encore moins coucher.

Je serais moins catégoriques. D’évidence le couchsurfing est un réseau de rencontres, par l’essence même de son activité. Dès que vous proposez à des gens de se rencontrer, et dans le cas présent beaucoup plus, puisqu’il s’agit de dormir sous le même toit, dans un pays dont vous ne parlez pas la langue, le fondement de la relation est la confiance. Et pour faire confiance à quelqu’un vous devez en savoir plus sur lui. Et plus vous en apprenez sur lui, sur l’endroit où il vit, comment il vit, qui il est, comment il se comporte dans son intimité, plus un rapprochement est possible voire facile.

Je le sais parce que je l’ai vécu quelques fois, mais un seul cas peut être qualifié de concluant, sans discussion possible.

Le 21 mars 2011 une anthropologue et psychologue Panaméenne a sonné à ma porte. J’avais oublié qu’elle devait arriver ce jour là. Je l’ai accueilli en robe de chambre, à peine réveillé.

En 2012 nous étions au Mexique ensemble, puis en Amérique du sud.

Pépé est parti à la retraite en 2014.

En janvier 2015 nous nous sommes mariés à la mairie du 15ème arrondissement de Paris.

Annexe


Au sujet de couchsurfing.org

couchsurfing.org est devenu couchsurfing.com (abbregé CS): il a été uberisé avant l’heure, dans les années 2011/2012, le spirit, l’esprit qui animait la communauté à quasiment disparu. Il est donc plutôt utilisé aujourd’hui comme une alternative à l’hôtel ou AirBnB. Certains surfeurs l’avouant même dans leur demande d’hébergement : ils veulent venir chez vous parce que c’est gratuit.
bewelcome.org est associatif et français. Beaucoup moins de monde, mais beaucoup de transfuge de CS, prolonge la communauté qui existait auparavant sur CS.

Sur la langue

La plupart des surfeurs parlent ou baragouinent l’anglais, mieux vaut en connaître les rudiments, voire plus, pour avoir une base commune. Si vous avez besoin de vous exercer dans une langue étrangère, couchsurfing vous fourni une bonne opportunité.
J’ai hébergé sans problème Bex, une jeune artiste sourde de Berkeley en Californie , c’était très drôle et agréable.

Bex se préparant à me dire quelque chose via son carnet.

Quelques conseils pour les hôtes débutants :

  • Si vous êtes mal à l’aise, ne vous lancez pas. Il faut être prêt, avoir envie de rencontrer des gens, et être certain de ne pas vivre la présence d’un étranger chez vous comme une intrusion.
  • Il n’y a pas une façon unique de pratiquer l’hébergement solidaire, chacun à la sienne. Inspirez vous de celles des autres, adaptez là à vos contraintes et désirs.
  • Choisissez avec soin des gens qui vous inspire confiance, des profils qui suscitent votre intérêt. Si vous échangez des mails et vous sentez que ça coince, annulez.
  • C’est chez vous, donc vos règles. Vous ne voulez pas qu’on touche à votre HiFi ? Vos avez un mug sacré ? Dites le.
  • Soyez souples. Vous avez à faire à des adultes, n’infantilisez pas vos surfeurs.
  • N’imposez pas de règles absconses. Ne vous sentez pas responsable s’ils découchent, c’est leur problème. Ils vous ont peut être privé de leur présence, mais rien ne leur impose la votre non plus !
  • Renseignez votre hôte, c’est souvent un touriste, il a peut être besoin de savoir comment on achète des billets pour les transports en commun, les horaires d’ouverture des magasins (à Paris les commerces ferment entre 13h30 et 15h30 en gros), etc. Partagez votre WiFi !
  • Proposez des activités à votre hôte, allez manger ensemble dans un resto de quartier, montrez lui une balade originale, etc.
Vous ne l’hébergerez pas.

Pour ceux qui voudraient surfer

  • Vérifiez bien les recommandations de l’hôte
  • Double vérifiez son adresse, comment s’y rendre, les horaires, les moyens de le joindre, etc.
  • Offrez lui un petit cadeau typique de chez vous (pas besoin qu’il soit cher, un porte clef peut faire l’affaire).
  • Respectez les lieux, ne soyez pas bruyants, et si quelque chose ne va pas, essayez d’arranger la situation immédiatement (exemple: il y a un chat, vous êtes allergique aux chats).
  • Passez du temps avec votre hôte : c’est le but.
Elle ne vous hébergera pas non plus.